Frank Zappa - Montreux 1971

Le 4 décembre 1971, je suis allé à Montreux avec mes potes, pour assister au concert de Frank Zappa qui allait avoir lieu l'après-midi.

Je venais d'avoir 16 ans, mais je me souviens avoir eu des photos de Zappa et des Mothers sur le mur de ma chambre dès l'âge de 13 ans environ. J'avais notamment découpé les fameuses photos prises par Art Kane et parues en 1968 dans le magazine LIFE, pour lesquelles ils avaient posé avec des bébés, car ces photos m'amusaient.

Stacks Image 7823
Mon premier contact avec Zappa a été plus visuel que musical, car je n'avais vu aucun de ses disques en magasin avant la sortie de Hot Rats en 1970, qui a été le premier de ses disques à avoir véritablement du succès en Europe.

J'ai été très touché et intéressé par Hot Rats, et au moment du concert de 1971, j'avais aussi Weasels Ripped my Flesh que quelqu'un m'avait ramené de New York, Chunga's Revenge, ainsi que Fillmore East: June 1971 qui venait de sortir.

En sortant de la gare, nous avons fait le trajet à pied jusqu'au Casino, et en passant devant un cinéma j'y ai vu l'affiche de
200 Motels, le film que Zappa avait tourné peu de temps auparavant, et dont nous n'avions encore jamais entendu parler.

Intrigué par cette affiche, j'ai supposé qu'une projection était prévue, mais je n'ai pas pris le temps de regarder en détail de quoi il s'agissait, car nous étions pressés d'arriver au lieu du concert. J'ai pensé regarder au retour, mais au retour j'avais autre chose en tête, et j'ai dû attendre 1982 pour avoir ma première opportunité de voir ce film, alors que je vivais à Los Angeles.
Stacks Image 7825
Le Casino de Montreux était un ancien bâtiment inauguré en 1886. Une salle moderne avait été construite dans le jardin côté lac pour les concerts et d'autres événements, et on y accédait de plein-pied en traversant le vieux bâtiment. Le terrain étant légèrement en pente vers le lac, la situation de la salle correspondait à un premier étage.
C'est dans cette salle qu'avait lieu le festival de jazz de Montreux en été, mais le reste de l'année y étaient organisés d'autres concerts, sous l'appellation de Montreux Pop, et on venait de loin pour y assister.
J'avais 14 ans la première fois que j'y suis allé en août 1970. Il y avait deux concerts au programme, avec trois groupes qui étaient censés jouer deux fois chacun. Je me souviens avoir vu
Black Sabbath et Taste, mais Cactus le troisième groupe avait été bloqué à la frontière et n'a joué qu'au second concert auquel je n'ai pas pu assister.
Taste était le power trio de Rory Galagher, et leurs concerts ont été enregistrés, donnant lieu au disque qui s'appelle Live Taste.
Le bassiste de
Cactus était Tim Bogert, aussi bassiste de Vanilla Fudge, et j'ai eu l'occasion de le rencontrer en 1981, car il enseignait au Musicians Institute de Los Angeles où j'étudiais.

Ce jour d'août 1970,
Claude Nobs était sur scène pour annoncer les prochains concerts et c'est là qu'il nous a fait part de la venue de Jimi Hendrix avant la fin de l'année. Explosion de joie dans le public. C'était l'époque où le triple LP et le film de Woodstock sont sortis, ainsi que l'album Band of Gypsys.
Malheureusement
Jimi est décédé le 18 septembre, ce qui m'a vraiment affecté car je l'aimais beaucoup et je me réjouissais de pouvoir enfin le voir.

L'été 1970 était une période incroyable pour les découvertes musicales. Je me souviens d'autres concerts que j'ai vus dans la salle du Casino,
Deep Purple, Procol Harum, Jethro Tull et Santana, entre 1970 et 1971. Je me souviens aussi avoir manqué des groupes que j'aimais beaucoup comme Led Zeppelin et Chicago, ou le premier concert de Santana.
Alors ce 4 décembre 1971, je venais d'avoir 16 ans, j'étais déjà un familier des lieux, mais je ne me doutais pas que j'allais entrer dans cette salle pour la dernière fois.
A cette époque, il n'y avait pas de chaises, ce n'était pas encore la mode des concerts debout, et le public s'asseyait donc par terre, parfois sur un coussin ou sur une veste roulée en boule, ce qui était mon cas.

Ce jour là, il y avait une décoration inhabituelle au plafond. C'était probablement prévu pour les fêtes de fin d'année, et il me semble que c'était un décor tropical, avec des entrelacs de jonc, de bambou ou de lianes, avec des fleurs en papier ou en polystyrène peut-être. Ce qui est certain c'est que toute cette matière était dangereusement inflammable, comme l'avenir nous l'a prouvé !

Je pense que le plafond était en béton et qu'il n'aurait normalement pas pris feu sans ces décorations temporaires qu'on ne peut voir sur aucune des photos.

Ce que l'on peut voir au-dessus de la scène devait être des panneaux acoustiques. Il existe des photos de ces panneaux tombant sur le sol dans la fournaise.
Stacks Image 7830
A l'époque je ne connaissais pas tous les morceaux joués, je ne comprenais que très peu l'anglais et dans cette version des Mothers il y avait beaucoup de dialogues.

Je me souviens de l’entrée en scène de Zappa avec une cafetière à la main. Il portait un long manteau qui, sur le moment, m’a semblé être une robe de chambre. J’aimais bien ce côté un peu loufoque, même si tout le monde sait que Zappa était un homme très intelligent.

On peut voir la cafetière sur la tête d’ampli de marque Orange, à droite de Zappa. Le manteau est posé négligemment sur la colonne de sono noire dont je reparlerai plus tard.
Stacks Image 7832
Je me souviens que lorsque Frank a annoncé Call Any Vegetable en disant "this is a song about vegetables", le public a commencé à applaudir, mais toutes les lumières sont devenues vertes instantanément et les applaudissement ont été écourtés par la surprise ressentie par le public. Lorsqu'on écoute l'enregistrement du concert, on l'entend bien.
Stacks Image 7834
Alors voilà qu'après environ 1h20 de concert, le groupe vient de jouer le thème de King Kong, et laisse la place à Don Preston pour un solo de synthétiseur. Don triture les oscillateurs de son Mini-Moog, et il produit des sons qui ressemblent un peu à ceux d'une sirène.

La fin du concert

Je suis assis au centre, environ aux 2/3 de la salle. Le son du synthé s'arrête soudain, et je vois des flammes dans le plafond à 10 ou 15 mères de moi sur la droite. Mark Vollman dit "Fire! Arthur Brown in person!" Ensuite Zappa dit "Calmly go towards the exits, ladies & gentlemen".

Ce qu'on croit, mais je ne l'ai pas vu, c'est qu'un type a tiré une fusée d'alarme vers le plafond. Au début, le feu est tout petit, je pense qu'il va être éteint rapidement et que le concert va continuer. Je traine un peu pour sortir, j'hésite à laisser ma veste roulée en boule par terre pour garder ma place bien en face de la scène !
Dans mon souvenir, les gens sortent rapidement et très calmement, et les pompiers et gardes de service s'énervent un peu pour qu'on sorte plus vite.
Stacks Image 7838
Le feu gagne assez vite le plafond, et des gens ouvrent les rideaux qui cachent des baies vitrées de part et d'autre de la scène. Certains empoignent des chaises pour casser les vitres.
Je vois un peu de sang, quelqu'un s'est blessé mais cela semble être bénin.

Une fois les fenêtre cassées, on sent un gros courant d'air qui s'engouffre dans la salle, qui chasse la fumée, mais qui attise aussi le feu.
Stacks Image 7840
Je décide de sortir par là, le sol doit être à environ trois mètres, il y a un rebord auquel je me suspends et je me laisse tomber dans l'herbe sans aucun problème.

Un ami que je ne connaissais pas encore à l'époque, me dit aujourd'hui ceci :

" Alain j'y étais aussi ! C'est avec l'une des colonnes de sono WEM posée sur la scène qu'avec d'autres personnes nous avons cassé les vitres, ce qui nous a permis de nous sauver en sautant dans l'herbe en contrebas…
Je me souviens très bien de Zappa indiquant très calmement au public qu'il fallait sortir sans panique. Je pense que son calme a permis une évacuation rapide et sécure.
Dans la précipitation, j'avais laissé à ma place un petit sac marocain dans lequel j'avais mis mes affaires et un manteau afghan (en mouton retourné, très à la mode à ce moment) et surtout mes papiers. Avant de sauter, je suis donc revenu sur mes pas pour reprendre mes affaires qui se trouvaient exactement là où je les avais posées.
Sortant de la fumée, un pompier, visiblement surpris de me trouver là devant lui m'a gentiment demandé de partir... "vite parce que c'est très dangereux de rester là!"
J'ai eu l'impression que le "moog" de Don Preston continuait à produire des sons bizarres sur la scène désertée... J'ai donc pris mes affaires et je suis rapidement sorti par les verrières brisées. Il m'a semblé que quelques instants après, le plafond s'est effondré.
"

On voit très bien cette colonne tout à la droite de la scène, et sur une des photos précédentes on voit son logo de trois lettres dans le coin supérieur droit, un peu flou mais bien caractéristique.

La photo suivante ne provient pas du concert.
Stacks Image 7842
La scène était très basse, tout au plus à un mètre, et c'est ce qui a permis à un autre de mes amis de l'escalader facilement et de se retrouver à descendre un escalier backstage avec Zappa.

Quelqu'un d'autre a tendu la main et a réussi à attraper la pédale wah-wah de Frank. Etant guitariste, il l'utilise encore aujourd'hui, et ça doit être un des rares instruments à avoir survécu à l'incendie.
Stacks Image 7844
Après avoir sauté dans l'herbe, je fais le tour du bâtiment pour retrouver mes potes que j'ai perdus, et je vois des gens sortir par la porte principale avec dans les mains des posters de Zappa.
Je n'imagine pas du tout que le bâtiment va entièrement s'embraser dans très peu de temps, j'y retourne par la porte principale et j'en ressors avec quelques posters.

Ce poster était paru plié en huit dans un magazine suisse allemand qui s'appelait POP. Le poster distribué au concert était de la même taille, mais il n'était pas plié. Il n'avait pas l'inscription POP, mais le papier était très fin.
Je dois toujours avoir un exemplaire du poster plié, mais je crois qu'il est en huit morceaux.
J'ai trouvé cette photo sur le net.
Stacks Image 7846
Cette porte devait se situer sur le côté du bâtiment, l'entrée principale était plus grande.
Stacks Image 7848
Stacks Image 7849
Frank, portant son manteau.
Stacks Image 7851
Ensuite, le bâtiment s'embrase totalement, la nuit tombe et c'est vraiment impressionnant.
Je me souviens particulièrement du moment où la toiture s'est effondrée jusqu'au rez-de-chaussée avec un grand bruit.
Stacks Image 7853
Stacks Image 7854
Stacks Image 7855
Interview de Frank Zappa, par la TV française, à propos de l'incendie.

Cette photo montre l'endroit correspondant à l'arrière de la scène.
Je pense m'être suspendu à la corniche et avoir sauté sur la gauche des buissons.
Stacks Image 7858

Alain Rieder, décembre 1971

Stacks Image 8580
Cet article a pour but de raconter cet événement du point de vue de quelqu’un qui l’a vécu.
La plupart des photos qui l’illustrent ont été trouvées sur internet, et j’ignore qui en sont les auteurs. J’espère pouvoir compter sur leur compréhension et je serais ravi de pouvoir mentionner leurs noms.

Méthodes de batterie par Alain Rieder

Alain Rieder est un batteur professionnel, enseignant et auteur de deux méthodes de batterie renommées.
Où acheter
Sur ce site (dos collé et spirale)
Lulu bookstore (dos collé et spirale)
Amazon (dos collé)
Bientôt disponible sur Hudson Music (eBook)
Où acheter
Sur ce site (dos collé et spirale)
Lulu bookstore (dos collé et spirale)
Amazon (dos collé) Amazon France
Hudson Music (eBook)

Newsletter

En vous abonnant à ma newsletter, vous serez informé des nouveaux articles de blog et exercices, des promotions et des futures méthodes !

En confirmant votre inscription vous pourrez télécharger :
  • des extraits de Time Manipulation
  • des explications sur mon concept de Pattern Morphing System
  • des pistes de métronome à utiliser avec les exercices
  • des avant-goûts d'une prochaine méthode avancée et innovante

Retour
RSS Feed    

Blog Archive


Catégories

Tags

Année

Index